Isabelle Lépine

« Je hais les voyages et les explorateurs. » Cette ouverture, désormais célèbre, de Tristes tropiques, illustre bien le mépris que Claude Lévi-Strauss peut nourrir pour ces simples témoignages qui se voient soudain auréolés de gloire et prennent valeur de panégyriques du simple fait d’avoir été produits à l’autre bout du monde - comme si l’exotisme était une valeur en soi, suffisante à magnifier et à transcender toute chose, et à parer de ses ors illusoires le moindre des mots, la moindre des actions.

 

Ce que Lévi-Strauss laisse entendre aussi par là, c’est combien le voyage pour le voyage ne vaut rien, combien il n’est pas une fin en soi. « Voyager n’est pas guérir son âme, » disait déjà Sénèque… Et l’on sait combien fuir au bout du monde dans l’espoir de régler ses problèmes n’est souvent qu’une manière de les déplacer sans les résoudre.

 

Alors, le voyage, un leurre ? Une utopie ? Une entreprise trompeuse qui ne servirait à rien ? Etrange argumentaire pour un texte de soutien !

 

C’est que justement le projet d’Educateurs Voyageurs évite la fascination de l’exotisme pour l’exotisme, du voyage pour le voyage, ce mythe rebattu, éculé, cet écueil du voyage « facile ». Leur démarche est une démarche construite, pensée, réfléchie, qu’ils ont à cœur de faire vivre et de partager. Dans leur projet, le voyage n’est pas un acte gratuit, destiné à « donner des vacances » à de gentils éducateurs qui voudraient se la « couler douce ».

 

Non. Investis dans leur travail, militants et engagés, ces éducateurs-là ne comptent pas leur peine ni les heures passées pour parfaire et alimenter ce projet, un vrai projet argumenté, solide, nourri, en phase avec les exigences des tutelles et la rigueur qu’on est en droit d’attendre de quiconque prétend éduquer - ou pour le moins faire œuvre d’accompagnement.

 

Il m’a semblé évident que l’ethnologie avait son rôle à jouer dans cette aventure. Si j’ai accepté de participer au Comité d’Ethique et d’apporter mon soutien au projet de l’association des Educateurs Voyageurs, c’est forte de cette conviction qu’une ouverture sur le monde, sur soi-même et les autres, peut naître du fait de se confronter ensemble à un ailleurs, et que dans cette découverte de l’altérité – de la diversité des cultures humaines, mais aussi de l’expérience de se vivre soi-même comme un autre en territoire étranger – se créent, s’échangent et se transmettent des éléments pour inscrire autrement sa place dans le monde.

 

…Et si, n’en déplaise à Sénèque, voyager pouvait finalement permettre parfois aussi de soulager un peu son âme ?...



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