Educateurs Voyageurs

Jean-François Gomez

Le premier contact que j’ai eu avec Les Educateurs Voyageurs l’a été par un ouvrage envoyé à la revue Cultures & Sociétés. Abondamment illustré, ce travail intitulé « Esquisse de la Suture » retraçait un certain nombre de séjours de ruptures effectués avec des jeunes difficiles. L’utilisation du récit, la tentative opiniâtre de laisser des traces autres que des vignettes cliniques ou des observations techniques, par le dessin surtout, a retenu mon attention. Il y avait aussi les photos splendides de leur site web où le désert semble nous appeler, loin de notre vie citadine, loin des tracasseries de notre univers saturé. Un instant, j’eus envie de partir avec eux, de laisser tous mes tracas. Le désert, dans mon panthéon personnel, représente beaucoup de choses, c’est même une histoire de famille. Dans la maison de mon enfance où il n’y avait pas beaucoup de livres, je me souviens d’un ouvrage intitulé Le Sahara désert mystérieux, d’Henri Lotte qui fut le premier livre important que je lus et mon père avait ramené d’Algérie une rose des sables qui me fit longtemps rêver. Devenu un homme, je fis pour mon compte la rencontre avec le désert tunisien, le coucher de soleil sur les dunes, les soirs qui tombent sur l’oasis, les troupeaux de chameaux qui viennent lentement s’abreuver au miracle de l’eau, et ce fut un des moments importants de ma vie.

Je n’ai pas beaucoup voyagé et tous mes voyages, finalement ont été des « pèlerinages »,hormis d’autres voyages consacrés à des cours, des conférences, qui ont un tout autre objectif et où l’on ne prend pas son temps.

Il me semble que les Educateurs voyageurs ont compris une chose que développe dans son œuvre le sociologue Marc Augé, découvert pour ma part grâce à l’écrivain Georges Perec : pendant que les chameaux, sans se hâter, se dirigent le soir depuis mille ans vers le point d’eau de l’oasis, notre environnement se transforme presque sous nos yeux, les rues de nos villes s’enlaidissent, tous nos souvenirs, uns à uns se détériorent, nous empêchant de maintenir un rapport sain avec notre passé, rendant l’avenir plus ou moins inquiétant. Nous consacrons beaucoup de temps à traverser des non-lieux, des lieux qui ne disent plus rien, aéroport, parkings, autoroutes, halls de gare, entrepôts, magasins de grande distribution tous identiques de Dunkerque à Tombouctou. Nous vivons dans un univers sans aucune prise où même les gares sont certifiées ISO.

Mais il y a pire. Mes propos comme ceux de Marc Augé, vont bien au delà d’une vision esthétique ou nostalgique. Les collectivités humaines, institutions d’enfants, Foyers d’handicapés, lieux de rééducations mais aussi ceux où l’on enferme les vieux où les malades mentaux pour guérir le plus souvent leur mal d’être, rendre leur vie plus douce, sont en train de devenir aussi des non-lieux. Et dans ceux-ci la tendance sera bientôt de gérer des rencontres certifiées, estampillées comme bonnes et recevables par des organismes tarifés.

Dans ce sens, il me semble que les Educateurs voyageurs ont compris l’essentiel. L’éducation spécialisée, si elle veut réussir avec de jeunes en difficultés doit avant tout se préoccuper de retrouver des lieux symboliques, des lieux où quelque chose puisse se passer, où la parole résonne et vibre, où les actes se détachent, où la transmission redevienne possible. Où l’on retrouve la dimension du risque.

Or, il se trouve que l’institution, lorsqu’elle ne sait pas se libérer de la multitudes de recommandations, de ses inextricables contradictions, de son discours sécuritaire, de ses enjeux corporatistes et de ses conflits d’intérêt devient nocive ou vaine. Elle désapprend à vivre. D’où la montagne. D’où le désert. Et bien d’autres lieux encore qui vous donnent envie de vous remettre au monde.

C’est autour de ces questions que tournent les Educateurs Voyageurs, avec leurs « séjours de rupture » et avec leurs rituels, c’est à dire des « ruptures et des épreuves qui font lien ». Lorsqu’ils m’ont envoyé leur Pré-projet de structure expérimentale pour une prise en charge alternative d’adolescents en grande difficulté, accompagné de leur lettre demandant mon appui, je n’ai pas hésité. Certes dans leur texte, on peut pointer quelques maladresses, des mots que personnellement je n’aurai pas employé, en tous les cas de la même façon. Mais l’essentiel y est. La réflexion et les questions sur la structure politique de leur institution, dés l’avant-projet (principe d’une SCOP liée à une association) me ravit. Le fait qu’ils fondent leur projet sur un principe de transmission avec leurs aînés(le Comité éthique de consultation)montre leur générosité et augure positivement de l’avenir. Et il y a le logo des Educateurs voyageurs qui dit tout, avec la belle expression « Passeurs de vie » : des mains qui ne cherchent pas le replis ni la facilité, des mains ouvertes et qui se tendent vers une carte du monde. J’en suis.

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